Avec la marche un autre temps se m’est en place. La journée commence avec les premières lueurs de l’aube, le pas devient la cadence qui supplante les secondes. Mettre un pied devant l’autre. Rien d’autre n’a d’importance. C’est la seule action qui va créer une différence. Soit tu marches soit tu contemples. Le reste ne changera rien à ta situation. Marcher c’est laver son égo à la machine à laver. Avancer d’un pas encore et encore comme le linge qui tourne et tourne dans le tambour n’enlève en rien à la réflexion, mais dissout les ruminations. Le paysage est la lessive qui remet à neuf l’esprit. Et il faut la combinaison de la marche et de la contemplation pour nettoyer l’ego.
J’ai réfléchi, j’ai pensé le monde. Je me suis beaucoup interrogé. Le linge est nettoyé.
La beauté nécessaire. Là, seul dans la montagne c’est parce que c’est beau. Cela doit être beau. Il faut donner du sens à l’expédition. Mais toutes les montagnes ne se valent pas. Il y a des endroits sans intérêts. Et puis pourquoi trouver la montagne belle, plus qu’autre chose? Qu’est ce qui fait que ce paysage nous touche ou doit nous toucher? C’est beau parce que c’est l’émotion vient de l’intérieure et je me sens envahie par le paysage ou bien parce que en cette saison, partir dans la nature c’est forcément beau? En d’autres termes la beauté est imposée ou choisie?
En fait beaucoup de compatriotes du sac à dos étaient émerveillés car ils le devaient. Si je suis là cela doit être beau ! Sinon pourquoi faire ? Et puis il y avait aussi la performance accomplie. Tu marches combien de « kil » par jour. Devant mon ignorance combien de temps ou de dénivelé ? Devant mes incertitudes et mes lacunes en la matière, mes interlocuteurs, ces héros des kilomètres abattus étaient désarçonnés. Alors pourquoi partir?
La contrainte essentielle étant l’eau, certainement pas la qualité du réseau. La marche se fout royalement de savoir si il y’a suffisamment de barres pour envoyer des photos « Instagramables ».
L’inutilité complète de l’acte. Je sais bien que tout cela est contradictoire, que je poste également comme les autres, que je fais intégralement parti de la tendance. La différence et j’en reviens à mon idée première est une question de temporalité et de raisons de l’acte.
Si je suis dans le partage instantané, dans le regardez moi en train de réaliser ceci, alors vous n’y êtes pas, mais alors pas du tout. La temporalité est la pire qui soit. Car à ce moment là, je ne vie pas, je montre. Et donc il n’y a pas d’expérience, il n’y a que l’imagination d’une expérience dans un lieu donné. Et ce lieu doit être photogénique, pour être regardé.
La marche est nulle visuellement. Elle n’apporte rien de l’ordre de l’exploit. Son rythme est lent, la cadence va à l’opposé de l’instantanéité. Il n’y a rien d’autre à faire que mettre un pied devant l’autre. Ce pas répété à l’infini ne cherche rien de spécial, on s’est juste qu’il va vers quelque part. Mais où exactement? Je sais pas. Cela va dépendre, de la météo, des massifs aux alentours et des envies du moment. C’est aller dans le sens opposé à une pseudo performance omniprésente, d’être capable de, d’aller chercher la meilleure version de soi ou je ne sais quoi. Il y’a rien à prouver ou à se prouver. C’est tout simplement inutile. Ça ne sert à rien. Et c’est pour ça que c’est vital. L’inutilité nécessaire. La marche n’a aucune raison d’être et permet peut être tout. Elle permet l’ennui, l’observation, la respiration, la non production. Elle permet d’éprouver la faim, la soif, la fatigue, la lassitude. Ce pas lent, si lent, est la vie sans but. Une vie qui ne cherche rien. Une vie qui vit, qui crée.